OUI, LA CULTURE ET LE DEVELOPPEMENT DES TERRITOIRES SONT CONVERGENTS … POUR DES RAISONS PRAGMATIQUES !
Jusqu’à récemment, sous l’influence de l’Ecole de Francfort et de l’exception culturelle française, une certaine littérature couvrant le champ de la philosophie sociale et de l’urbanisme a séparé artificiellement ce qui relevait de l’économie et ce qui relevait de la culture. Cette séparation reposait sur un idéal humaniste où la culture exprimait une certaine forme de pureté, de créativité dégagée de la contrainte marchande qui était censée corrompre les esprits.
Cette vision est si fortement ancrée que certaines recherches en urbanisme distinguent encore des villes nobles, d’art, comme Aix-en-Provence, Poitiers ou Arles aux villes industrielles – par conséquent, économiques, à l’instar de Lens, Metz, Cherbourg…
Pourtant, cette distinction semble à présent en perte de vitesse pour au moins deux raisons :
- La première provient de la convergence entre la culture et l’économie. L’économique est pénétrée par la culture, à l’image de Citroën qui vend une Picasso, voire de l’artisanat qui s’apparente à un art de faire, mais la culture est aussi empreinte d’économique comme l’atteste le marché de l’art, les films cinématographiques et les retombées monétaires des festivals;
- La deuxième vient du fait que les territoires produisent de la richesse, des biens, à travers leurs ressources spécifiques (tradition, savoir-faire, monuments, paysages,…) qui agissent comme des référentiels culturels identitaires et lisibles. Ainsi en va-t-il de la relation entre le Groupe Mère Poulard et le Mont-Saint-Michel, d’une part, et Evian-les-Bains et l’eau minérale du même nom.
Dès lors, la ville, au sens de communauté de citoyens ayant un mode de vie citadin, atténue les dissensions entre culture et économie. Cette observation transcende aussi bien les métropoles comme Paris qui trouve dans sa capacité à générer de la culture une grande partie de ses ressources financières, que les villes en milieu rural comme la Roque-d’Anthéron (Festival International de Piano) ou Carhaix (Festival des Vieilles Charrues).
Partant de cette évolution, la culture trouve un prolongement au cœur d’un ensemble d’activités de services (musées, parcs d’animation, festivals…) et industrielles (joaillerie, industries agroalimentaires, habillement…) exploitant les spécificités identitaires des territoires.
L’éventail de ces activités offre aux territoires la possibilité de « vendre » des biens culturels de deux natures :
- Des biens mobiles, exportables, à l’instar des produits du terroir labellisés (AOC, AOP…) ou des marchandises liées à une culture industrielle spécifique comme le textile à Marseille ;
- Des biens immobiles, consommables sur place. Les monuments, les parcs, les festivals en sont l’archétype.
Ces biens culturels sont conditionnés par une situation géographie, un mode de vie, une histoire, une codification sociale, une gouvernance politique et économique, etc. Cette spatialisation culturelle est renforcée, du reste, par un processus cumulatif spécifiant un savoir-faire, un style, un référentiel, une image, tous vecteur d’un avantage comparatif ou absolue.
Dans les faits, les lieux de production de biens culturels rassemblent sur un espace géographique délimité un certain nombre de petites et moyennes entreprises qui travaillent en réseau sur un ou quelques produits homogènes. Cette architecture constitue un système local issu et régit par les normes et conventions sociales, politiques et économiques à l’œuvre sur les territoires.
Le bien culturel devient un outil de développement local qui donne de la lisibilité au territoire à l’échelle du bassin de vie, de la région, de la nation ou internationale. Plus l’image du territoire est mise en avant, plus les producteurs locaux de biens culturels drainent leurs produits. Parallèlement, plus les produits locaux sont diffusés, plus le territoire acquiert de la visibilité.
Or, il appartient aux édiles locales d’assurer la commercialisation ou la promotion des spécificités de leur territoire. Même en l’absence de ressources culturelles, les politiques publiques sectorielles sont en capacité de créer les conditions favorables à l’émergence de certains biens culturels. Ainsi, une politique offensive d’aménagement d’équipement, comme à Lens avec le Louvre ou bien le Tripostal à Lille, permet de (re)créer une dynamique de développement urbaine et économique à l’échelle d’un bassin de vie, d’une ville ou d’un quartier.
Le défi qui s’ouvre aux collectivités territoriales françaises repose non pas sur une vision protectrice du capital culturel, mais plutôt sur des choix de politiques publiques offensifs. Ces derniers seront la prolongation d’un urbanisme de projet mettant en scène les conditions favorables à l’émergence, au maintien ou au développement de biens culturels vecteurs d’attractivité et de compétitivité territoriale.