L’INDUSTRIE : une ligne de fracture supplémentaire entre France urbaine vs France rurale

L’actualité française de ces dernières semaines remet au goût du jour des concepts comme la « France périphérique », « la diagonale du vide », « Paris et le désert français ». Tous les sujets, sociétaux, sociaux, économiques, démographiques, etc., sont analysés sous ce prisme de cette dualité.

Pourquoi pas l’industrie ?

Il ne se passe pas mois  sans qu’il y ait au moins une étude sur la performance de l’industrie française, où les commentateurs s’émeuvent du repli de l’emploi et de la valeur ajoutée industrielle dans le paysage national. Pire, sa compétitivité et son positionnement global sur du milieu de gamme ne lui permettrait pas d’être en position de (re)conquête sur les marchés internationaux en dehors de quelques champions bien identifiés dans le luxe, l’aéronautique ou la défense, par exemple.

Il est vrai que sur la période 2002-2015 la valeur ajoutée de l’industrie n’a progressé que 0,5 %/an contre 2,1 %/an entre 1990 et 2001. Laissons aux analystes juger du comment et du pourquoi, tel n’est pas notre but.

Pour cause, nous visons une toute autre piste de réflexion qui, dans un climat de défiance grandissant entre les espaces urbains[1]et les autres espaces « périphériques » ou ruraux, interroge sur une évolution dont nous sommes les contemporains.

 

  1. Les économies d’agglomération et la dimension territoriale

 

L’évolution à laquelle il est fait référence porte un nom : « économie d’agglomération ». Sans entrer dans le détail, ce concept désigne un ensemble d’avantages liés à la concentration géographique des entreprises. La proximité d’un grand nombre de fournisseurs, la présence d’un bassin de main-d’œuvre conséquent et une meilleure diffusion des connaissances et des innovations, sont à peu de choses près les trois sources favorables à la croissance.

C’est en partie sur ces postulats que la politique administrative française de déconcentration/décentralisation s’est orientée depuis 2014 au travers de la reconnaissance de métropoles et de la reconfiguration des périmètres des régions et de leur rôle « de chef de file » en matière de développement économique.

De manière inductive, la mise en œuvre des politiques publiques pourrait alors amener à ce que les lieux d’accueil privilégiés des investissements soient les espaces qui auraient le plus de chance de maximiser les effets d’agglomération.

C’est ici que naît une crainte, celle de voir des territoires non métropolitains perdre de leur substance : actifs, investissements, savoirs-faire. La fin des solidarités territoriales issues de l’après-guerre devant alors prendre fin au nom de l’efficacité économique et budgétaire.

La tendance à la concentration d’activités économiques est palpable, encore plus en France qu’ailleurs, du fait d’une culture poussée de la centralisation. Allant dans le sens de l’histoire de l’économie, les activités tertiaires à haute valeur ajoutée confortent la tension vers ce centralisme que l’on nomme à présent « métropolisation ». Leur développement coïncide avec la présence de commodités à fort degré de rayonnement : infrastructures de transport rapides et numériques, culture, éducation, sports et loisirs, etc. Ces mêmes commodités jouant un rôle d’attracteur auprès des populations actives qui vont occuper les divers emplois métropolitains.

Les grandes agglomérations attirent les travailleurs du tertiaire, notamment les plus qualifiés, ce que ne font pas et ne peuvent pas faire les autres territoires. Ceci aurait pu paraître indolore si les secteurs agricoles et industriels n’avaient pas connu de profondes distorsions concurrentielles et des évolutions qui ont contribué à affaiblir leur poids dans l’emploi et dans la valeur ajoutée produite dans l’Hexagone.

 

  1. Un fait : des grandes aires urbaines qui se renforcent

 

Le mouvement vers ces économies d’agglomération est-il inéluctable ?

Sans que cela ne traduise l’événement ultime dans la relation complexe entre agglomération et périphérie, différents facteurs convergent vers un renforcement des économies de concentration.

Il ne s’agit pas ici de les lister, mais de dresser une photographie de la spatialisation de l’industrie à l’échelle de la France.

En nous aidant de la méthodologie développée par l’INSEE qui permet de déterminer des typologies du zonage en aire urbaine, il est possible de dresser cette fameuse photographie de la France industrielle.

Il s’avère que les espaces des grandes aires urbaines, composés des grands pôles urbains, de leur couronne et des communes multipolarisés des grandes aires urbaines, accueillent, en 2016, près de 29 % du volume global des entreprises industrielles du pays. Quatre ans plus tôt, cette part ressortait à 26 %. Autrement dit, le nombre d’entreprises industrielles a progressé de 46 % entre ces deux années, à un rythme nettement plus élevé que celui constaté à l’échelle de la France, 31 %.

En termes d’emploi, les grandes aires urbaines comptabilisent 78 % des effectifs industriels en 2016. Cette part demeure stable par rapport à 2010, malgré une diminution de 7,8 %. Ces aires urbaines ont globalement connu une contraction de l’emploi industriel moins vive, de 0,6 point, qu’ailleurs.

Les récentes évolutions industrielles font transparaître un recentrage de l’appareil industriel dans les grandes agglomérations. Ces tendances de court terme sont à même, si elles se poursuivaient, de modifier plus en profondeur la géographie économique française. En effet, cette usure de l’économie productive est vécue presque mortellement par cette France rurale.

Après l’effritement progressif de l’agriculture, l’érosion de l’industrie dans les espaces non urbains dévoilent des mutations spatiales et fonctionnelles extrêmement profondes qui agissent à rebours du patrimoine génétique rural tel qu’il est vécu par les populations. Rappelons que l’attache au local est particulièrement vivace et idéalisée en France, ce auprès de personnes très diverses dans leur appartenance socioprofessionnelle.

 

  1. L’espoir douché de la France rurale ?

Une industrie qui s’étiole, les services administratifs et aux populations, le secteur du tourisme, devraient prendre le relais pour dynamiser les espaces dits ruraux.

Problème, les évolutions de la population nous apprennent que les grandes aires urbaines ont enregistré une hausse non négligeable de leur démographique de l’ordre de 3 % entre 2010 et 2015.

Du coup, quel avenir pour ces territoires ?

C’est alors que l’aménagement du territoire et la planification spatiale doivent assumer leur fonction visant à permettre aux solidarités interterritoriales d’opérer. Il s’agit, dans le même temps, de permettre aux grandes aires urbaines, notamment métropolitaines, de croître dans un contexte de concurrence internationale de plus en plus exacerbée qui appelle à la détermination d’espaces lisibles par leur développement en grande partie économique, mais aussi de donner aux autres espaces, qualifiés de ruraux dans le langage courant, de donner un espoir, une raison d’être.

Toujours est-il que les territoires en bordure ou à l’écart des grandes aires urbaines détiennent un certain nombre d’atouts : logement et foncier moins chers, proximité à l’égard d’une agriculture et de la nature, présence moindre de pollutions, cadre de vie plus apaisé, etc.

Les nouvelles technologies et de communication peuvent contribuer, dans la mesure où elles sont opérantes, sont à même de renforcer les avantages des espaces ruraux. En effet, elles sont susceptibles de décentraliser le travail ou d’encourager la microentreprise, permettant aux personnes de concilier bien-être professionnel et personnel.

Autant de facteurs qui font que des entrepreneurs, des cadres, des ouvriers, des retraités ou bien d’autres encore choisissent ces lieux pour satisfaire, de manière heureuse, leurs objectifs de vie.

Derrière ces caractéristiques renvoyées par ces lieux non agglomérés se cache un fait porté de manière présente par les citoyens, celui de la proximité.

Plus qu’un concept, souvent caricaturé, il s’agit d’un nouveau mode de vie porté par les nouvelles technologies de l’information qui se diffuse à l’ensemble des territoires français, urbains comme ruraux. La proximité n’est pas un leurre mais une chance qui peut consister en un modèle, pas nouveau, donnant un sens en réaction à une mondialisation perçue « hors-sol ».

L’alimentation, la production d’énergie, la santé, les savoir-faire sont alors modelés sous le sceau de la relation à l’autre et de la solidarité. Ici, le citoyen devient acteur de ses échanges, il participe au vécu de son territoire d’installation en construisant des réseaux. La réflexion et l’action globale se combinent en prenant appui sur des spécificités existantes qui sont absentes dans les grands espaces agglomérés.

Et l’industrie dans tout ça ? La réalité industrielle de ces espaces non urbains ne provient plus comme par le passé, à quelques exceptions près, de choix de porteurs de projets exogènes. Sa vitalité provient alors de la mobilisation des ressources internes à ces espaces.

Aussi, les documents de planification et d’urbanisme, locaux ou supra-communaux, doivent intégrer cette dimension qui prend de l’ampleur. Chaque corps, à son échelle d’intervention (Etat, Régions, Départements, Consulaires, Réseaux d’entreprises, collectivités locales,etc.) a un rôle d’accompagnateur, de facilitateur à jouer de manière à rendre possible l’éclosion des projets territoriaux.

L’ingénierie économique, la création / (re)structuration des espaces d’activités économiques artisanaux et industriels, la recherche de coopérations ruralo-urbaines, etc., deviennent des éléments clés devant être accompagnés des questions d’accueil résidentiel, d’équipements et de services, dont notamment les mobilités, de gestion des ressources environnementales et naturelles, pour le compte d’une stratégie de développement globale, non pas en défense mais en complémentarité des espaces urbains.

A cette fin, les Schéma Régionaux d’Aménagement, de Développement Durable et d’Egalité des Territoires et les SCoT doivent constituer des documents cadres et partagés propices à de nouvelles expressions de solidarité territoriales, pouvant déboucher sur des formes de contractualisation interterritoriale, entre espaces urbains et ruraux. Il s’agira alors pour chacun de s’inscrire dans une histoire si ce n’est commune au moins respectueuse des identités et des rôles de tous.

 

 

[1]Par espace urbain, il est entendu les grandes aires urbaines composés des communes des grands pôles (unités urbaines comptant au moins 10 000 emplois), des couronnes des grands pôles (ensemble des communes dont au moins 40 % des actifs occupés travaillent hors de leur commune de résidence dans un grand pôle ou dans des communes de sa couronne) et des communes multipolarisées des grandes aires urbaines (communes situées hors des grandes aires urbaines dont au moins 40 % des actifs occupés résidents travaillent dans plusieurs grandes aires urbaines sans atteindre ce seuil avec une seule d’entre elles et qui forment un ensemble d’un seul tenant).


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